Lever le voile sur l’impact des bateaux pour une industrie plus durable

Ce n’est qu’en donnant la priorité à la transformation écologique au même titre que la performance que la course au large pourra se mobiliser pour affronter les enjeux du changement climatique. Notre rapport Design & Build, publié à la suite de la construction du nouveau bateau de course ‘Mālama’, explore les diverses actions à mettre en place pour limiter l’impact de l’industrie. 

En septembre 2021, l’équipe 11th Hour Racing Team a dévoilé ‘Mālama’, le premier voilier IMOCA 60 conçu pour participer à des courses au large en équipage, en double et en solitaire. 

Construire un bateau de course performant n’a pas été le seul objectif de l’équipe. Ces 24 mois de recherche, de développement et de construction ont également été consacrés à ouvrir une voie pour la transformation écologique de notre industrie. D’où proviennent l’ensemble des impacts et comment peut-on les réduire ? Ceci a été étudié dans un rapport détaillé qui décrit le processus entier de la conception à la construction, en passant par l’optimisation d’un bateau de course IMOCA. 

En partageant des informations détaillées sur la construction du bateau, les composants matériels, la chaîne d’approvisionnement et l’impact environnemental, le rapport vise à encourager une action positive au sein de l’industrie maritime et à fournir une feuille de route pour s’aligner sur les cadres internationaux d’action positive en faveur du climat, notamment la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) et l’accord de Paris.

Le rapport présente une étude approfondie de la construction de ‘Mālama’, exposant l’ensemble des matériaux utilisés, leurs impacts écologiques ainsi que les matériaux alternatifs existants, en passant par une analyse détaillée de la chaîne d’approvisionnement et du cycle de vie d’un voilier IMOCA. En analysant le contexte plus large du secteur maritime, le rapport propose des solutions et stratégies à mettre en place afin de concilier durabilité et performance et avoir un impact positif et durable, aligné sur des normes et des réglementations internationales comme le dispositif des Nations Unies pour le sport au service de l’action climatique (CCNUCC) qui invite à un nouveau mouvement d’action climatique. 

Damian Foxall, responsable du développement durable au sein de l’équipe 11th Hour Racing Team, explique comment ils ont profité de la construction du nouveau bateau pour étudier comment l’innovation durable pourrait être mise en œuvre dans l’ensemble du secteur :

“Au cours des dix dernières années, les performances sur l’eau de notre classe ont connu des progrès étonnants, mais le prix à payer est élevé. Depuis 2010, l’empreinte d’un IMOCA a presque doublé, passant de 340 à 550 tonnes d’émissions de gaz à effet de serre. C’est une tendance générale que nous observons dans à peu près tous les secteurs d’activité, motivés par la performance ; nous avons accéléré trop vite dans la mauvaise direction, et nous ne faisons que prendre conscience de cette réalité.” 

Foxall rappelait les objectifs de réduction des émissions de gaz à effets de serre de l’Accord de Paris:

“Il s’agit de réduire l’empreinte carbone de l’industrie d’au moins 50% pour atteindre l’objectif de net zéro d’ici 2030, soit dans huit ans seulement. Nous sommes très loin de cet objectif à l’heure actuelle.”

Si l’on veut y parvenir, il est primordial de comprendre d’où proviennent précisément ces émissions. C’est souvent plus facile à dire qu’à faire, comme l’explique Amy Munro, qui travaille avec Damian Foxall sur le développement durable de l’équipe :

“Construire un bateau de course est un processus complexe qui implique un grand nombre de parties prenantes et de matériaux. Il faut le décomposer en détail pour bien comprendre d’où proviennent les principaux impacts. C’est pourquoi nous avons méticuleusement mesuré  les incidences environnementales de chaque étape du processus de conception et de construction et réalisé une analyse du cycle de vie (ACV). De cette façon, nous avons pu identifier les problèmes majeurs liés à la construction et identifier des pistes d’amélioration et d’innovation pour changer dans la bonne direction.” 

SUSTAINABLE DESIGN & BUILD REPORT RESOURCES

Le rapport complet, disponible en français et en anglais, ainsi que des ressources supplémentaires peuvent être téléchargés ci-dessous.

Les principales conclusions de l’ACV de l’équipe 11th Hour Racing Team sont les suivantes  :

  • Émissions de gaz à effet de serre (C02e) : 
    • L’émission totale de gaz à effet de serre était de 553 tCO2e. Cette quantité équivaut à 2,2 millions de kilomètres parcourus par un véhicule de tourisme moyen, soit 55 fois le tour de l’équateur, ou à l’empreinte moyenne de la fabrication de 100 voitures Renault. 
    • Plus de 80 % des émissions liées à la construction d’un bateau sont liées aux composants utilisés, notamment à la fibre de carbone vierge. Trouver des matériaux alternatifs permettra de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre liées à la construction d’un nouveau bateau.
  • Consommation de ressources : 34,5 tonnes de matériaux ont été utilisées pour construire un bateau de 8,6 tonnes, principalement composé de matériaux high-tech tels que la fibre de carbone.
  • Consommation d’énergie (millijoule ou mJ) : l’énergie consommée par la production des matériaux et le processus de construction du bateau était de 15,9 millions de mJ, soit l’équivalent de la consommation énergétique de 370 foyers nord-américains pendant un an. 
  • Consommation d’eau : La quantité totale d’eau utilisée dans la production des produits et services associés à la conception et à la construction de l’IMOCA était de 7 500 m3 (7,5 millions de litres ou 2 millions de gallons américains), soit l’équivalent de trois piscines olympiques.

Recommandations Cléfs:

 

  • Approvisionnement et consommation d’énergie : 
    • Faire de l’énergie renouvelable un point clé de discussion dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement et des contrats d’approvisionnement
    • Veiller à ce que l’énergie nécessaire à la fabrication provienne à 100 % de tarifs d’énergie renouvelable. Par exemple, le constructeur du bateau de l’équipe ‘Malana’, CDK Technologies, utilisait de l’énergie 100 % renouvelable, ce qui a permis une réduction de 15 % par rapport à la moyenne européenne.
    • L’empreinte numérique est également à prendre en considération. Dans le cas du projet de l’équipe, elle s’élevait à 15 tonnes de CO2e, ce qui correspond à un taux d’émissions de gaz à effet de serre de 3,5 % au niveau mondial. Selon les projections actuelles, elle devrait atteindre 14 % d’ici à 2040. 
  • Composants de fabrication : Mettre en œuvre des innovations pour remplacer des matériaux tels que la fibre de carbone et la résine époxy, par des matériaux alternatifs tels que le carbone recyclé, la fibre de lin ou la bio-résine. Voici quelques exemples (non exhaustifs) étudiés dans le rapport : 
    • Les bio-résines : L’équipe a testé et utilisé des résines biosourcées (Sicomin Greenpoxy et Ampro Bio de Gurit) dans des composants tels que les bers, les bâti-moteurs, le carénage du pont et les panneaux de pont​​. Les résines biosourcées ont une empreinte carbone inférieure d’environ 50 %, utilisent deux fois moins de ressources rares et consomment 50 % moins d’énergie et d’eau qu’une résine non biosourcée ordinaire.
    • Âme en PET recyclé : Pour certains composants, dont les bers, les bâti-moteurs  et  les  carénages  de  panneaux de pont, l’équipe a utilisé une âme en PET recyclé, dont le potentiel de réchauffement global est inférieur de 56 % à celui de l’âme en PET vierge.
    • Carbone recyclé (FCr) : La fibre de carbone recyclée (FCr) ne produit que 5 à 20% des émissions de gaz à effet de serre de la fibre de carbone vierge et constitue dans de nombreux cas une alternative pertinente. Les pièces non structurelles et les moules en sont des exemples frappants. La production de FCr dépend cependant de la mise à disposition de chutes de carbone correctement recyclées et l’équipe a traité près de cinq tonnes métriques au cours de la construction de Mālama.
    • Le lin : La  fibre  de lin  (Flax) est un matériau renouvelable qui possède  un  certain  nombre  de  propriétés  qui  en  font  un  bon  choix  pour tester  et  construire  des  composants. L’équipe 11th Hour Racing Team a travaillé avec Greenboats, une start-up allemande, pour fournir trois panneaux de pont fabriqués à partir de fibre de lin, de  résine  biosourcée  et  d’une  âme  en  PET  100%  recyclé. Au total, 80 m2 de lin ont été utilisés sur le bateau, les fibres étant neutres en CO2 tout au long de leur cycle de vie et biologiquement décomposables.
  • Chaîne d’approvisionnement : 
    • Raccourcir les chaînes d’approvisionnement en travaillant avec des fournisseurs à proximité. En se basant en Bretagne, au cœur du monde de la voile offshore, l’équipe a pu investir plus de 80 % de son budget fournisseurs localement.
    • Le fait de choisir des fournisseurs ayant déjà mis en place des protocoles de développement durable conformes aux normes et réglementations établies dans votre secteur. Si les fournisseurs ne les ont pas encore, proposez-leur de travailler ensemble pour les mettre en place ! 
  • Gestion des déchets et circularité
    • L’une des solutions les plus simples pour réduire l’empreinte écologique consiste à mettre en place un système efficace de gestion des déchets, c’est-à-dire,de  recycler ou de réutiliser autant que possible. Tout au long de la construction, l’équipe a réussi à récupérer 21 tonnes de ressources pour éviter leur mise en décharge (81 %).
    • Identifier les domaines dans lesquels il est possible de réduire la quantité de déchets, par exemple en évitant les emballages inutiles. L’équipe a travaillé avec CDK Technologies et Gurit, leur principal fournisseur de pré-imprégnés, sur un programme de reprise des emballages en carton.
    • Identifier les domaines à fort impact d’émission et mettre en œuvre des principes de circularité. Dans le cas de ‘Mālama’, le moule de la coque et du pont représentait 50 % de son empreinte CO2. Le fait de le réutiliser pour d’autres bateaux permettra de réduire considérablement l’impact de ces futures constructions.
  • Collaboration : Les partenariats et la collaboration sont des leviers essentiels pour s’éloigner du statu quo du “business as usual”. L’équipe 11th Hour Racing Team encourage l’industrie de la course au large à partager son expertise de manière proactive, et à définir une politique audacieuse en accord avec les normes et objectifs établis par des organisations telles que la CCNUCC. Pour construire’ Mālama’, l’équipe a travaillé avec un réseau mondial d’experts, dont CDK Technologies, MerConcept, Kairos Biocomposites, Greenboats, Navico, Guillaume Verdier Design, la classe IMOCA et d’autres encore. 

Après 18 mois de chantier, la sortie et la mise à l’eau de ‘Mālama’ en septembre 2021 a été un moment fondateur pour l’équipe. Mark Towill, directeur de l’équipe 11th Hour Racing Team, affirmait:

“Mālama est un chantier pilote permettant d’intégrer des technologies et innovations durables dans la construction d’un bateau de course. Bien sûr, il y a des aspects de la construction où nous aurions aimé aller encore plus loin. Mais l’un des principaux enseignements de ce processus a été les contraintes de temps associées à la mise en œuvre de ces innovations, comme l’utilisation de matériaux alternatifs. La recherche, le développement et le test de matériaux alternatifs impliquent des délais importants afin de disposer de solutions efficaces répondant aux mêmes normes structurelles, de performance et de sécurité que ce qui se fait habituellement dans le secteur. Notre objectif est que ce rapport donne un aperçu des contraintes et des opportunités pour que l’innovation soit plus largement intégrée dans les projets de constructions futures”.

Le bilan de l’ensemble du processus de conception et de construction et les recommandations formulées dans le rapport exposent les grandes lignes d’une vision Net Zéro visant à définir notre sport et notre industrie dans le cadre d’un avenir durable.